Arrêtez-vous !
Arrêtez-vous ! Arrêtez-vous vraiment ! N'allez pas plus avant dans vos pensées, n'allez pas plus en arrière dans vos souvenirs. Demeurez là où vous êtes, sentez, goûtez ce qui se passe. Quoique ce soit qui se présente, prenez-le au sérieux et dîtes-vous : « C'est ici et maintenant, pas à droite ni à gauche, pas avant ni après ; n'allez pas plus loin. Prenez vraiment cet instant pour ce qu'il est par nature, ici et maintenant. À travers cet instant, vous sentirez une autre dimension que vous ne pouvez sentir dans le contexte de l'espace et du temps, de la rationalité systématique. Prenez-le tel qu'il est ici et maintenant. » (propos cités par Karlfried Graf Dürckheim dans son livre « Le Don de la Grâce »).
Que ce soit dans l'assise en silence ou dans le quotidien, l'exercice de base consiste toujours à marquer un temps d'arrêt.
Il est probable que Joan Miro', dont le musée de Grenoble offre une belle rétrospective, ait proposé cette expérience à son petit-fils : « Miro', dit-il, m'a appris à m'arrêter pour réfléchir dans un silence... Il m'apprenait toujours à écouter les silences pour être soi-même... à embrasser la patience...) (propos de Joan Punyet-Miro' recueillis par Clément Berthet ; Dauphiné-Libéré 31 mai 2024).
Miro', lui que l'on qualifiait de « méditant bouddhiste », donne à voir ainsi en quelques mots la source de sa créativité : l'immobilité et le silence. Cette indication ne nous engage-t-elle pas à changer notre attitude dans le quotidien, apprendre à disposer de ce qui s'offre à nous ?
La pause à laquelle nous sommes invités a ceci de particulier, qu'elle n'en est véritablement pas une ; prendre le temps de s'attarder dans une immobilité silencieuse et se charger de ce qui nous est donné naturellement, nous oriente dans un autre type d'activité. Toute la difficulté de ce moment de pause réside dans le fait qu'il s'agit d'un passage d'un mode d'activité à un autre et que le mot ne le dit pas. C'est un moment où l'on se met à disposition d'une dimension plus profonde et par laquelle on se laisse saisir afin que : « l'être ait la possibilité de s'y illuminer fugitivement (Dürckheim ; « Le Don de la Grâce »). Juste le temps d'un éclair, une brèche, une vision claire, le saisissement fugace de l'indicible, un moment de grâce dont le goût imprègne une toute nouvelle forme d'action.
J'ai choisi de partager avec vous trois moments qui favorisent cette expérience intime et secrète avec l'indicible.
Pendant l'assise, lorsque l'attention est portée à la respiration, ne négligez pas ce léger accent qui marque la fin de l'expiration comme une ponctuation nécessaire sur le moment de silence d'où l'inspiration peut repartir, empreinte d'une aisance toute naturelle qu'on ne lui connaissait pas.
Tout aussi précieux est ce moment, lorsqu'on fait gasshô (le salut mains jointes), dans lequel on s'apprête à se relever. C'est un temps de pause sans en être un, où l'on prend le temps de puiser un ordre intérieur qui nous redresse et nous conduit vers l'activité suivante. On se relève, dans le geste de s'incliner, rempli de cet ordre et de ce silence où l'on a pris le temps de se déposer et de recevoir.
Dans ce passage, il nous a été donné de nous sentir accueilli et chargé de ce « je ne sais quoi », de cet insaisissable contact.
Je vous parle enfin de ce passage d'un pied sur l'autre dans le kin-hin, de cette discrète pause, juste le temps de sentir la jambe mobilisée par une gravité naturelle et notre propre coïncidence à ce mouvement. Cela nous étonne au point de forcer notre écoute, de la forcer encore jusqu'à voir que ce sont ces moments de pause qui dictent le rythme.
Que cherchons-nous lorsque nous nous arrêtons ? Le silence, le frémissement d'une expérience qui nous touche et nous restitue au monde d'une manière différente, nous offrant aussi la possibilité de rendre visible ce qui ne l'est pas.
« Regardez en vous-même si toutes les expériences où vous avez ressenti cette autre dimension ne se sont pas toutes produites dans des instants de passage » (K.G. Dürckheim).
En nous retenant, ne serait-ce qu'un instant, nous avons toujours cette opportunité de laisser ressurgir le silence, dans lequel peuvent reposer nos activités.
Dans notre quotidien, il est bon de marquer ces temps d'arrêt, comme nous y invite Dürckheim. Nous pouvons alors nous ressaisir, reprendre contact avec l'essentiel et « le laisser ainsi accompagner nos journées comme l'arrière-plan de toutes nos activités. »
Dominique Durand
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