De la forme juste à la relation juste
Le contexte mondial, politique, climatique, force notre attachement à des points de vue, à un ordre de valeurs figé, à une position immuable à l'égard de la vie. Cette façon durcie d'être dans le monde, dit Dürckheim, s'enracine dans un maintien, une crispation du corps dont nous n'avons pas conscience et qui entretient la fixation du contenu de nos pensées.
La Voie nous engage à démanteler ces attitudes en apprenant à les percevoir, à les considérer, aussi, puisqu'elles nous ont permis parfois de nous structurer et de nous maintenir lorsque le contexte était chancelant.
L'assise en silence place le méditant dans un face à face avec cette réalité de lui-même, mais en l'invitant aussi à se glisser dans les lois naturelles que sont la respiration, la gravité, l'activité autonome des cinq sens, afin qu'ils puissent s'entendre dire : repose en toi-même, tranquillement, la vie te porte, prends appui sur elle.
L'expérience de la douceur, de la souplesse intérieure, advient car le méditant a trouvé son vrai socle. En contact avec ce vécu, la manière de recevoir le monde comme facteur de menace, d'aliénation ou de solitude, se modifie.
Aussi, pendant l'assise, notre attention doit-elle très concrètement se porter sur le mode d'implication proposé par l'enseignement de Dürckheim. En effet, la position assise ne garantit pas l'expérience ; si nous n'avons pas appris à nous mettre en résonance avec ce qui régit notre existence, le zazen peut rester une activité stérile et ennuyeuse.
Entrer en résonance, qu'est-ce à dire ? Laisser le corps faire écho aux lois naturelles qui se présentent, et ce dans l'attitude participative de la tenue juste (celle que l'on ne maintient pas), puis favoriser l'actualisation de cette nature fondamentale à travers l'attitude participative de la forme juste. Tenue et forme demeurent indissociables, le corps a pour vocation la révélation de l'expérience : Être.
La forme, c'est la manifestation d'une mise en ordre intérieure, elle en devient la trace, le geste d'une évidente union entre ce que je suis et ce qui cherche à se révéler.
À ce sujet, nous ne pouvons pas ignorer un propos de Deshimaru qui considérait la posture de zazen comme l'éloquence absolue, une éloquence sans mots (celle du moine qui fait la grimace en mangeant un fruit amer). L'éloquence, ce n'est pas seulement le talent de la parole, c'est aussi le caractère de ce qui, sans parole, est expressif, probant. Ne parle-t-on pas de l'éloquence du silence ? Ne s'agit-il pas, pour un temps d'assise, de restituer au corps son éloquence originelle, celle de l'enfant, totalement éveillé à l'événement présent ?
La forme transmet la trace d'une expérience d'union avec le monde, avec les événements, avec les autres, parce que celui qui s'éprouve et ce qui est éprouvé ne font qu'un. Sur ce fond d'unité, les événements viennent s'échouer tranquillement là où ils ne sont ni rejetés, ni refusés, ni ignorés. Que deviennent-ils alors ?
Asseyez-vous et vous verrez, vous vous sentirez dans une autre forme de relation au monde, non celle durcie par les idées cristallisées, mais celle de cette fameuse transparence dont parle Dürckheim, celle où tout peut avoir lieu, mais toujours dans cette relation intime avec « je suis ». La puissance de cette évidence devient alors comme le suggère Billeter, source de paix entre les personnes et les nations.
Notre implication dans l'assise : laisser transparaître à travers notre tenue, la forme, témoin d'une manière d'être, pénétrée par les lois de la vie. Aisance, souplesse, fluidité, autant de qualités dont la forme peut prendre la couleur. Il n'y a pas une forme, il y a le déploiement de formes multiples, totalement accordé au moment et à la situation présente, quel que soit le caractère imparfait de notre existence.
Respirer avec le monde, respirer les événements, sans leur opposer nos tribunes d'écoeurement et de désespoir.
Et si la véritable inclusion, objet de débats houleux, passait par cette attitude participative du corps, évitant ainsi les combats inutiles occasionnés par notre mental fossilisé ? La forme juste est l'expression d'une présence de l'inconditionné, celle d'une personne libérée de son cadre de référence et ouverte à une relation plus juste.
Dominique Durand
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