La forme juste est silence
Il y a peu de temps, un hebdomadaire de la presse consacrait son éditorial au silence, osant souligner l'importance de ce besoin que notre société néglige. Faisant référence aux actes barbares que nous connaissons, l'article insistait sur la nécessité de poser le silence face à l'agitation que soulèvent ces actes. Or le silence est le propre de l'attitude méditative, non pas le silence religieux des monastères, dont on pourrait faire un absolu ou un idéal, mais cette présence à soi-même qui crée un espace de recueillement où la réponse à l'événement se fait sans bruit.
Entre souplesse et détermination, le corps sait donner un écho à la situation présente en se livrant à un certain « régime d'activité » tout à fait libre d'intention, de réaction. Le silence, naissant de l'immobilité corps-esprit, accueille dans un écrin l'innommable au même titre que le beau. Comment ? Tout simplement parce que l'insoutenable ne vient plus se heurter aux frontières rigides d'un moi qui lutte et contredit, mais vient reposer dans une forme juste où l'existentiel, sans pour autant être dénié, peur se fondre dans le silence.
« L'unité avec l'Etre, ne s'opère que par l'accord entre la vie intérieure et le monde extérieur », dit Dürckheim. Cet accord ne peut avoir lieu que dans une forme juste à partir de laquelle naît le silence.
Alors, comment laisser monter le silence en soi ? Apprendre la forme juste. Lorsque nous sommes engagés sur la voie tracée par Dürckheim, nous sommes inlassablement ramenés par la pratique à la tenue, la forme et la respiration justes. Des trois, l'approche de la forme semble la plus délicate, la plus difficile à saisir parce qu'elle révèle pendant l'assise, la subtilité de quelque chose qui n'a pas de contour, alors que, justement, c'est ce qu'on attend d'une forme. Cette forme n'est pas définie, elle évoque ce que Dürckheim appelle « la transparence » ; c'est une présence clarifiée de tout soi-même qu'accompagne l'attitude d'une personne qui n'envisage plus que quelque chose doive être changé. Cette forme, révélée par le corps que l'on est, est parfaitement silencieuse tout en étant parfaitement ouverte à ce qui se présente. On peut dire qu'il y a une sorte d'avénement de la forme par le silence et du silence par la forme dans la pratique méditative.
Le silence n'est pas une fermeture, l'exclusion de ce que l'on n'aime pas ou de ce qui choque ; le silence n'est pas une tour d'ivoire où l'on se réfugie, il est cet ordonnancement intérieur qui sans cesse ajuste la forme à la réalité extérieure, à la « contre-forme ».
La forme juste, c'est cette quête incessante par le corps d'un nouveau langage, d'une nouvelle manière d'être au monde et avec le monde.
Certains créent des oeuvres d'art, la forme juste et silencieuse fait partie d'un champ de création où nous inventons un autre espace d'expérimentation dans lequel les réalités les plus obscures et les plus absurdes, les plus difficiles, viennent côtoyer le silence et s'y fondre. La forme juste, c'est un moi capable d'éprouver l'être jusque dans les situations limites de l'existence, parce qu'elle est en ordre.
La culture du silence ne nous fixe pas dans un registre d'exclusion, elle nous initie à une autre forme d'ajustage au monde. Nous comprenons qu'il ne s'agit pas de se poser définitivement dans une identité singulière, mais de s'accompagner intérieurement vers cette forme qui « transcende les contraires », comme l'explique Dürckheim. La forme juste qui naît du silence et retourne au silence est entièrement libre de préjugés, elle initie la personne à être plus large qu'elle-même et à se mettre à disposition de ce qui se présente autrement qu'en s'opposant ; elle change notre manière d'être en situation et notre manière d'être affecté par cette situation.
Dans le silence, l'onde de choc qui se propage en provenance d'un événement se fond dans l'unité de la forme juste.
Et si le silence auquel nous revenons chaque jour dans la pratique, devenait notre seul recours devant toute forme d'extrémisme ou de violence ?
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