Pourquoi méditer ?
Lorsqu'on se pose la question « Pourquoi m éditer ? » il est nécessaire de revenir aux fondamentaux de la technique, la simple assise de Bouddha, parce que celle-ci est sans ego et qu'elle inspire une réponse qui ne concerne en rien tous les justificatifs proposés qui ne sont que des points de vue au service du moi.
Avant même que l'ego ait eu le temps de s'approprier la situation, lorsque l'on vient à peine de s'assoir, la vertu de l'immobilité et de la tenue nous révèle une vérité qui nous pénètre en force : nous ne nous appartenons pas, rien ne nous appartient dans ce qui se passe en ce moment, ni nous-mêmes, ni ce qui se fait.
Alors, nous ne pouvons qu'être invités à contempler « ce qui se réalise et s'organise selon ses propres lois » (Jacques Castermane).
Un ensemble s'élabore de lui-même qui ne concerne pas seulement « celui de nos dix mille milliards de mitochondries jouant à la perfection leur rôle de nano-centrales énergétiques », ou encore « celui de notre foie régulant nos taux de sucre et d'insuline au millième de gramme près », organisations pour lesquelles nous ne sommes pour rien.
Quoique tout à fait respectable, cette prise de conscience ne serait encore qu'une objectivation de l'inexplicable. Il faut sauter le pas en nous aidant d'une indication de K.G. Dürckheim qui nous invite à « étendre notre intérêt à des régions et des aspects de notre existence que le moi ne peut pas soumettre : l'expérience des sens et l'expérience intérieure du corps », parce que, ajoute-t-il, « ces deux domaines ne sont jamais complètement corrompus ».
Qu'entend-il par là ? Qu'est-ce que le moi ne peut pas soumettre ? Dürckheim nous propose de simplement sentir sans nous approprier ce que nous savons ou ce que nous pensons de ce qui est senti. Henry Maldiney, phénoménologue reconnu, disait que, sentir, ça n'est pas avoir une sensation. L'acte pur de voir, d'entendre, de respirer et non pas de voir, entendre ou respirer quelque chose, ces fonctions, si tant est que l'on puisse les nommer ainsi, ne sont pas de notre fait, elles sont, elles se font et peu à peu, libérées de nos pensées, nous imprègnent d'une autre façon. Et nous voilà, bouleversés, bousculés par le changement opéré dans notre manière d'explorer cela. Conduits malgré nous à contempler simplement ce qui se réalise, l'expérience nous pousse à devenir plus larges, plus vastes, pour laisser résonner ce vécu particulier : laisser se déployer sans heurts le « vivre », se laisser pousser soi-même par ce « vivre » au-delà des frontières établies et connues.
Cela ne nous appartient pas, nous ne le possédons pas, cela est tel que c'est et nous devons simplement permettre que cela soit. Le corps devient la connaissance immédiate de ce « vivre » qui ne passe plus par la conscience d'un moi contraint et limité. Le « vivre » s'accomplit de lui-même et nous en devenons simple témoin.
L'assise en silence révèle cette présence à la vie et nous saisissons alors combien il est dérisoire de répondre à la question « pourquoi méditer ? Parce que la réponse est bien trop vaste pour être contenue dans une logique explicative limitée à une cause et un effet.
Même si nous sommes poussés un jour ou l'autre vers cette pratique avec le souhait d'améliorer quelque chose dans notre existence, nous sommes un jour ou l'autre, à force de pratique, confrontés à cette réalité, qu'il y a dans cette activité quelque chose de l'ordre de l'anonymat et de l'impersonnel, que nous serions bien en peine de définir.
La réalité connue à travers la pratique méditative ne pourra jamais être saisie par une pensée, une phrase, une explication, elle ne pourra jamais être au service du moi. Quant à cette question : pourquoi méditer ? gardons-la sur le mode interrogatif et contentons-nous de nous ouvrir au mystère révélé par chaque assise.
Dominique Durand
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