L'esprit de discipline – Qu'entend-t-on par là ?
Si cette lettre a pour but d'encourager celui qui en fait la lecture, à la pratique de l'assise en silence, je me dois de souligner l'immense privilège que nous avons de pouvoir renouer chaque jour avec l'essentiel, avec le noyau de l'existence, avec ce moment où nous éprouvons que nous sommes agis par la vie.
Le terme « privilège » peut surprendre mais nous devons l'extraire de l'acception habituelle qui en fait une loi personnelle d'exception pour le voir comme le fruit d'une discipline.
En effet, notre plus grand privilège n'est-il pas celui de s'accorder cette discipline ? Un peu comme si l'exigence devenait une chance : retravailler l'intensité de présence à l'événement ne peut se vivre que comme une chance...
Reconsidérer la discipline comme un cadre bienveillant que l'on s'octroie pour être au plus près de ce que l'on vit, n'est-ce pas une autre manière d'envisager l'exercice ? Se tenir au plus près d'une quête menée sans but et qui réinvestit l'absence de réponse dans la force d'agir qui se manifeste à chaque instant. Ainsi l'esprit de répétition prend tout son sens ; la discipline devient une disposition particulière qui nourrit l'activité.
Et si l'on traitait les données immédiates que sont le dos droit, les jambes croisées, l'immobilité, comme une partition ? Renaud Capuçon évoquait récemment dans une émission la reprise d'une même sonate de Beethoven, non pas sur quelques semaines, mais sur une vie entière. Le dos droit, les jambes croisées (la partition) ne sont pas des données accomplies et définitives, elles sont la quête de tout soi-même vers l'expression juste. Cependant, la discipline consiste à ne jamais considérer l'expression juste comme définitive. N'est-ce pas particulièrement en ce point que nous devenons disciples ?
La discipline doit rester désirante d'un inlassable renouvellement, la recherche elle-même et le but qui aussi devient joie. A ce sujet, nous pouvons évoquer ce propos de Spinoza, extrait de « l'Ethique » et cité par Jean-François Billeter : « La béatitude n'est pas la récompense de la vertu, mais la vertu elle-même. » Propos que l'on peut transférer ainsi : le privilège n'est pas la récompense de la discipline mais la discipline elle-même.
Dans les idées que nous nous faisons sur la méditation, nous aimons trop les projections imaginaires nées de nos attentes et nous n'aimons pas assez les données initiales que sont la tenue, la forme, la respiration, l'immobilité.
La discipline est liée à une activité soutenue de reconnaissance de ce qui se trame sous l'apparence des choses, elle crée un climat où il n'est plus question de choix mais de nécessité. La discipline n'est pas une contrainte, c'est un état d'esprit.
Lorsqu'on a posé cette question à Dürckheim : « Pourquoi méditer ? » et qu'il a répondu : « Parce que c'est l'heure », il ne s'agissait pas d'une boutade. La discipline n'est pas une réponse à un pourquoi, du moins la discipline dont il est question ici. Et c'est justement cette gratuité qui constitue le privilège. Agir sans but, n'est-ce pas l'essence du zen ? Privilège de ne pas avoir à justifier la pratique, l'extraire des lois de la cause et de l'effet, l'envisager de manière tout à fait libre. Il se pourrait bien que la discipline nous libère de nos attentes et donc d'un zazen qui nous ressemblerait... parce que mis au service de l'ego.
La discipline est donc bien plus qu'un cadre ; les atermoiements n'ayant plus leur place, l'exercice quotidien du zazen devient une activité entièrement libre de toute intention et qui vient nourrir toutes les activités de notre quotidien qui sont engagés non plus sous le dictat de l'ego mais à partir de la liberté de l'être.
N'est-ce pas un privilège ?
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