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Photo du rédacteurDominique Durand

Lettre N° 26–Mai 2020

Fidélité au texte

La multiplicité, la diversité des propos tenus sur la méditation ne remplaceront jamais le caractère inépuisable de l'expérience. Le discours ne vaut que par l'intensité avec laquelle il vous pousse à aller expérimenter par vous-même, de la façon la plus juste qui soit et à croire en ce que vous portez en vous, à vous appuyer sur « le pouvoir que vous avez de vous emparer de vos capacités naturelles », comme l'exprime Karlfried Graf Dürckheim. Ces quelques lignes n'ont pour but que de vous inciter à expérimenter quelque chose par le corps, par votre pratique corporelle. Il en sera toujours ainsi parce que c'est la seule façon que nous ayons de rester fidèles au texte, la juste manière de s'assoir transmise par le Bouddha.

Tenez-vous éloignés de tout intérêt personnel lorsque vous allez vous assoir et commencez à vous consacrer (dans le sens de dédier l'ensemble de votre personne) à chaque détail de la pratique, sans rien chercher de particulier.

Détachez vos côtes les unes des autres en vous redressant et vérifiez que cela ne vous entraîne pas plus loin que ce que vous sentez. Imperceptiblement cela induit une légère cambrure dans les reins et naturellement vous enfoncez le sacrum dans le coussin en le poussant légèrement vers l'arrière.

Et là vous sentez, vous ne faites que sentir et vous vous sentez.

Voilà le texte. Il n'y a aucune interprétation fantaisiste dans cette source, il y a juste ce qu'il y a à faire, de la façon la plus précise qui soit, comme si plus rien d'autre n'était aussi important. On sent parfois que la méditation nous fait endosser un rôle pour lequel on est fait depuis toujours. Il n'y a plus qu'à dire «  Oui, c'est ça , c'est tout à fait ça ». On rentre dans quelque chose de simple et de tout à fait naturel, d'évident, que l'on a toujours su tout en l'ayant oublié. L'attitude du corps réveille cette mémoire-là. Et voilà que l'on retrouve ce fond, ça n'est ni connu ni inconnu, juste, ça colle à la peau comme un gant ajusté à la main qui le porte, et vous savez très exactement de quoi je parle. Ce gant-là ne pouvait être que pour cette main-là. Le corps étant redressé, la méditation se confond avec l'acte de s'assoir, il n'y a plus de séparation. C'est comme si on découvrait quelque chose qui a toujours été là et pour lequel on est fait.

L'interprétation, quant à elle, ne naîtra pas de votre intention personnelle mais d'un centre appelé Hara, synonyme d'un vécu d'unité ; là se trouve la première source d'inspiration. C'est peut-être cela qui m'invite à porter mon attention aux propos d'un musicien, professeur au conservatoire et qui répondait ainsi à la question d'un journaliste posée sur l'objet de la transmission à ses élèves : « Ce que je transmets, c'est la fidélité au texte. Ainsi, ajoute-t-il, de génération en génération, nous sommes immédiatement avec Beethoven. » Il ne s'agit pas de faire une interprétation personnelle et fantaisiste, il s'agit de se donner entièrement au texte du compositeur, à la partition par conséquent. C'est de là que partira l'interprétation et non d'une intention personnelle.

L'interprétation, nous devons la laisser naître, et c'est elle qui nous instruit sur la forme à donner. De la juste tenue naît la juste forme. En effet, lorsqu'on a senti s'ériger cette force naturelle, les efforts personnels peuvent être abandonnés. Se présente alors cette absence de tension assimilable à une absence de contenu. C'est cela-même qui vous reconduit à l'assise chaque jour parce que vous avez compris ; vous ne savez pas ce que vous avez compris, mais c'est ce « je ne sais pas » qui vous y ramène. Revenir encore et encore à cette absence de tension, donc à une absence d'un moi consistant et reconnaissable.

Cette exploration de soi-même dans cette absence est capitale, parce qu'elle nous permet d'expérimenter l'absence de saisie de quoi que ce soit. Même s'il y a absence pour le moi, il y a présence par le corps qui fait l'expérience de l'inconnaissable : vision de notre vraie nature qui ne se rattache à aucun état de conscience particulier. Cela laisse une empreinte profonde.

En accordant une confiance absolue à la force vitale de la tenue et en abandonnant toute forme d'identification aux tensions, nous parvenons à une dépossession de nous-mêmes qui s'effectue d'elle-même. Le retour à soi se fait alors autrement et laisse toujours cette même question en suspens : « Mais qui est là en ce moment ? »

La juste tenue se traduit par l'expression d'une force vitale, tandis que l'absence de tension abolit toute tentative d'emprise sur le réel. Ainsi, implicitement, dans ce pur respect des données initiales, le rapport au monde et aux actions à entreprendre s'en voit modifié. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une suite d'expériences, parenthèses dans notre vie, qui feraient office de refuge ou de repli. Notre sujet est de revenir au monde tel qu'il est en prenant racine dans cette désappropriation de soi réalisée pendant l'assise. Revenir aux affaires courantes en laissant chacune de nos actions s'enraciner dans l'absence de tension, donc dans cette dépossession de soi-même.

N'est-ce pas le plus bel exercice que nous puissions faire en cette période de déconfinement : s'ouvrir au monde sans rien accaparer, sans vouloir posséder plus qu'il ne faut, juste en ayant foi en cette force vitale et peut-être contribuer ainsi à un vaste changement.


Dominique Durand




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