" C'est l'illusion du moi qui cause notre peine. "
Une dérive d'interprétation sur laquelle nous risquons d'achopper est véritablement celle que nous attribuons au moi.
Cette indication donnée aux personnes qui pratiquent de poursuivre toujours un peu plus loin une connaissance de leur propre ego afin d'accéder à une vie spirituelle épurée, peut exposer ces mêmes personnes au vain espoir d'écarter définitivement le moi ou au désespoir de ne jamais y parvenir. Le temps passé à analyser ses propres fonctionnements peut convertir le pratiquant en un « procrastinateur » sur la voie spirituelle et contribuer à l'entretien d'un écart entre le spirituel et l'existentiel. Il est tout à fait stérile de passer son temps à se lamenter sur les récidives de l'ego. Cette attitude nous tient éloignés de l'exigence qui consiste à rentrer dans la pratique par un autre biais que celui d'une longue marche d'approche qui ne serait que le chemin qui mène au chemin.
Dans le zen, existe une mise en œuvre immédiate de conditions qui vont permettre l'avoir lieu de l'expérience qui libère l'ego de ce retour incessant sur lui-même. Le zen, c'est un changement radical d'attitude, une rupture avec les limites de l'esprit pensant qui n'en finit pas de chercher « à être plus lucide », « à se mentir de moins en moins », « à regarder la réalité en face ». Ce processus ne prend jamais fin parce que nous demeurons dans le registre de l'évaluation du plus ou du moins, éludant cette faculté innée de percevoir « je » dans ce qu'il a d'illimité.
Le chant de maître Hakuin (1686 -1769) énonce ceci : « C'est l'illusion du moi qui cause notre peine ». Le moi en tant que tel n'est pas un problème, c'est la méprise qu'il entretient sur lui-même qui est illusion. Son ambition n'est jamais satisfaite parce qu'il se sent impuissant, son orgueil persiste parce qu'il se pense sans envergure, sa jalousie est immense parce qu'il se croit dépossédé.
La bascule à laquelle nous invite la pratique, c'est cette perception immédiate du vaste et de l'illimité de notre nature. Chaque reprise de contact avec la tenue, la forme, la respiration, le rythme, l'immobilité et le silence met en lumière cette appartenance du moi à un ordre qui le dépasse et l'accroît tout à la fois.
Laissons la pratique nous convaincre que nous-mêmes, tels que nous sommes, incarnons la mesure de ce dépassement.
L'union à ces « prédispositions naturelles » que sont la tenue, la forme et la respiration, nous libère de nos illusions. À force de bains successifs de cette complétude, le moi abandonne sans effort ses oripeaux, il s'en désolidarise et revient naturellement à lui-même, tel quel, tout simplement. Le moi se reconnaît dans cette indéfectible capacité à être, tel qu'il est.
Le retour au quotidien s'effectue alors sans heurt, sans cassure, dans une sorte de fluidité : le moi n'est plus un obstacle à combattre, il s'éprouve lui-même comme expression d'une plénitude, d'un ordre et d'une unité qui rendent caduques les illusions.
Le chemin ne consiste pas à les combattre vainement, en cherchant à les comprendre, à les analyser, mais à revenir à l'union de « je » avec sa propre essence au cœur de l'assise en silence. Ce « je » devient alors l'expression de ce qu'il y a de plus spontané, de plus humain.
Le maître zen Maezumi nous exhorte ainsi : « S'il vous plaît, ayez foi en vous et soyez intimement convaincu d'être véritablement vous-même. Il n'y a pas d'autre manière. Vous aurez un sentiment très profond de confiance en vous et de respect de vous-même. »
Dominique Durand
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