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  • Photo du rédacteurDominique Durand

Lettre N°32 -Décembre 2020

Pas de but : MUSHOTOKU


En juin 2011, tandis que je saluais Hirano Katsufumi Roshi avant son retour au Japon, celui-ci m'adressa ce message : « pas de but ». Une formule laconique qui, dans son énoncé incisif, eut pour effet de décourager toute forme de redéfinition de ma part. Je sentis alors que chaque minute de ma pratique devrait s'engouffrer dans cette expérimentation du sans but.

Aujourd'hui, je ne puis m'empêcher d'établir un parallèle entre la façon dont la crise sanitaire nous assigne à résidence, privant chacun de ses projets, et l'exercice de l'assise en silence correspondant à un moment de conscience où l'on s'interdit toute projection dans un futur proche ou lointain.

Au cœur d'une morosité tout à fait palpable, l'assise en silence devient notre point d'appui, non en tant que refuge, mais en tant que retournement de notre manière d'accueillir la situation. Ce mot retournement, m'évoque celui de conversion. Avez-vous déjà effectué une conversion à ski sur une pente raide ? C'est un changement radical de direction, qui exige adresse, équilibre et parfois confrontation avec le vide de la pente. Il faut y aller, sinon c'est se condamner à rester toujours dans le sens qui n'offre aucune possibilité. On prend appui sur ses bâtons bien plantés dans la neige, on lève le ski et on le replace en sens inverse de manière parallèle et enfin on ramène l'autre ski. Le zen, c'est la même chose : le changement de direction s'effectue de manière radicale. Opérer cette volte-face, c'est accepter de s'abandonner à ce que le personnage limité que nous sommes, considère comme inutile.

Nous allons prendre soin de l'inutile, lui rendre ses titres de noblesse en se livrant à l'intelligence du rien faire, en nous donnant la possibilité de ressentir que les choses adviennent naturellement.

« Ce qui pour vous est un obstacle, disait Herrigel, c'est votre volonté tendue vers une fin. Vous pensez que ce que vous ne faites pas vous-mêmes ne se produira pas ». Nous avons à cultiver cette attitude intérieure qui consiste à laisser la nature livrée à elle-même, oeuvrer par elle-même ; n'est-ce pas d'ailleurs le sens que prend un certain type d'agriculture dite « sauvage » , qui consiste à ne plus désherber, retourner la terre. Un mode de culture qui coopère avec la nature.

L'exercice périlleux pour nous dans la pratique consiste à trouver cette zone d'activité qui se trouve entre faire et ne rien faire, qui ne se traduit pas par un état mais par un élan soutenu proche de « aller avec », « aller dans le sens » et dont nous sommes en quête constante dans notre pratique. Il n'y a rien à produire du fait de se tenir dans une juste tension-détente, mais cet usage du corps très particulier devient le lieu d'accueil d'un son perçu, d'un rayon de soleil qui se dépose sur l'herbe, d'une petite fleur qui pousse le long d'un mur. On n'aspire à rien de particulier. C'est la juste tension-détente, ce juste rapport faire/ne rien faire qui porte la situation dans ce quelle a de plus précieux et de plus unique. On se contente d'être responsable de cette situation en la rendant à elle-même dans ce qu'elle a de rare, parce qu'on n'attend rien.

Être responsable de la situation à chaque instant, c'est le contraire du souci, de l'inquiétude, cela nous engage directement dans uns action, si infime soit-elle, qui consiste à se redresser et à assumer.

Certains thérapeutes enseignent aux personnes atteintes de dépression à devenir attentives à leur environnement immédiat : un chat qui passe, l'arbre au loin, le bruit du vent dans les feuilles, un insecte sur le mur. Attentifs, oui, mais à partir de ce point mystérieux et en même temps parfaitement perceptible par le corps, où faire et ne pas faire se confondent.

C'est à partir de là que nous apprenons l'action dépourvue de mérite, l'action sans but, le concept que Suzuki qualifiait comme le plus difficile à comprendre et à pratiquer et que, lorsqu'il était maîtrisé, la discipline zen était elle aussi maîtrisée.

À force de côtoyer l'inutile, nous apprenons à faire usage de notre propre corps autrement. Cela ouvre la perspective d'une pratique vécue, non comme une instrumentalisation, mais comme un « mode de dévoilement ». Ainsi la pratique n'est-elle pas un moyen, mais le chemin.


Dominique Durand

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