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Photo du rédacteurDominique Durand

Lettre N°33 -Janvier 2021

Dernière mise à jour : 31 janv. 2021

L'ascèse joyeuse


Avant toute chose, il y a la nécessité de s'imposer, jour après jour, cette restriction absolue qu'est le zazen, restriction à laquelle nous pouvons donner le nom d'ascèse. Non pour se stabiliser dans un état de grâce permanent, mais pour donner toute son importance au chemin sur lequel on fait l'effort de se reprendre.

Il n'est pas question d'espérer se fixer dans un état de plénitude permanent. Qu'adviendrait-il de notre « être-là » au sein d'une saturation permanente ? Que resterait-il de notre « être humain » s'il nous était donné de ne plus avoir peur, de ne plus être découragé et ou attristé ? Retrouver à l'occasion de chaque pratique, l'effort de se distancier de nos codes habituels, c'est aussi mesurer cet écart entre ciel et terre, celui où nous évoluons et qui est le cœur de notre humanité.

Un état de plénitude constant n'est ni envisageable, ni souhaitable, car il nous priverait de cet « être au monde » qui fait que parfois, l'obscurité se transforme en lumière.

La seule chose à laquelle nous ne devons pas renoncer, c'est l'ascèse, identique à celle de n'importe quel artiste ou artisan qui inlassablement fait, refait. Reclus dans son atelier, il recherche la transparence des choses et leurs infinies variations de lumière, comme l'ont recherchée Morandi, Cézanne.

Bien sûr que nous sommes découragés, tristes, et nous ne devons pas avoir honte de l'être ; ce pourquoi nous sommes impardonnables, c'est de ne pas faire l'effort de nous imposer quotidiennement cette restriction drastique qu'est le zazen. Apprendre ainsi à mesurer la vertu de l'ascèse, non pour y trouver la perfection, mais cette compassion pour notre état d'être humain.

Retrouver avec la plus grande sincérité ce que Dürckheim exprime ainsi : « Être en accord avec l'Être ne signifie pas être dans un état de perfection. Vouloir atteindre la perfection est une erreur que ne doit pas commettre celui qui est en chemin. Notre vérité est souvent assez misérable en rapport avec notre idéal. Être relié à la transcendance ne signifie pas que nous réalisons de manière parfaite « ce que doit être un homme », mais avoir la force de nous voir dans notre vérité du moment. La transcendance ne se manifeste pas quand nous dépassons le niveau humain, mais précisément là où nous reconnaissons notre faiblesse. »

Pratiquer zazen n'est pas un moment pour nous élever au-dessus de nos turpitudes ; la sagesse ne dissout pas le chaos, elle l'incorpore. Nous avons trop le désir de nous débarrasser de nos limites, mais l'enjeu est aussi celui de ne pas s'y complaire, de « faire avec » en quelque sorte, ce qui nous dédouanerait de cette incontournable nécessité de l'ascèse, celle qui nous définit dans cette indifférenciation entre turpitudes et sagesse, là où il n'y a plus que du vivant, un vivant lucide et clairvoyant.

J'ai eu la chance, ces derniers temps, de travailler avec mon petit fils qui est en classe de seconde, sur des textes de Sylvain Tesson. Je dis chance, parce que, en dehors de tout contexte dit « spirituel », j'ai pu une fois de plus constater que toute situation est zen dans la mesure où on l'aborde avec l'état d'esprit qui correspond. Cet auteur utilise, en effet, le terme « profigisme » traduit du russe et qu'il définit ainsi :

« Un comportement très vital où on essaie de corriger son grand écroulement intérieur par une joie de vivre ». Ce mot désigne une attitude face à l'absurdité du monde et à l'imprévisibilité des événements : c'est une résignation joyeuse face à ce qui advient. Les adeptes du profigisme accueillent les oscillations du destin sans chercher à en entraver l'élan. Ils s'abandonnent à vivre. N'est-ce pas là où nous conduit le zen, face aux trois inacceptables que sont l'absurde, la solitude et la mort ?

La pratique ascétique du zazen nous prouve à chaque instant cette cohabitation possible de l'absurde et de la joie. N'est-ce pas notre plus grande difficulté que de demeurer sur cette crête vertigineuse, apprendre à y vivre sans être attiré par le vide ?

C'est une indication précieuse que nous donne le zen, réussir cette gageure : demeurer extrêmement vivant et joyeux dans un monde absurde. Je n'appellerais pas cela de la résilience, qui elle, s'inscrit davantage dans une histoire personnelle, il s'agit plutôt d'un éveil lucide. René Char ne disait-il pas que « la lucidité est la blessure la plus proche du soleil » ?

Chaque fois qu'il y a ascèse au cœur d'une activité, il y a le zen. Ne parlons pas d'une ascèse mortifiante, mais vivifiante. Un temps par jour de retrait, par rapport à tous les bénéfices que l'égo peut tirer d'une situation et découvrir ici et maintenant que la simple joie d'être est possible au cœur du chaos.

C'est cet équilibre fragile que nous devons reconquérir chaque jour à travers la pratique, tout en sachant que rien n'est jamais définitivement acquis.


Dominique Durand




En 2016, Télérama publiait cet article de Fabienne Pascaud, que je ne puis m'empêcher de vous communiquer, tellement son contenu reste d'actualité et en lien avec ce qui précède :


Ne jamais renoncer

" Pas question de se taire dans le monde absurde et sauvage d'aujourd'hui, où les guerres et le terrorisme ne cessent de massacrer des centaines d'innocents ; où les réfugiés sont rejetés ; où des vieillards se font égorger dans les églises au moment même où ils célèbrent la communion entre les hommes. Ce n'est pas à un silence apeuré et passif que je vous invite. Mais à ce silence qui est écoute, attention profonde aux êtres vivants quels qu'ils soient, à la voix secrète des choses, et à l'environnement... Le silence pour se recueillir, mieux réfléchir et agir, continuer à se faire entendre. Non dans un brouhaha complaisant qui s'apitoie et ne s'adresse qu'à soi, mais dans un bruit qui dénonce et résiste, chante et défie. À travers leurs vœux de silence, les grands mystiques ont souvent communié le plus ardemment avec la souffrance des hommes, ont voulu l'alléger de leurs prières, en même temps qu'ils menaient de grands combats, intérieurs comme extérieurs. Le silence n'est jamais renoncement. Mais partage au plus haut, au plus brûlant. "



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