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  • Photo du rédacteurDominique Durand

Lettre N°36 -Avril 2021

Rien de spécial



















Nous devons nous confondre à la pratique jusqu'à l'oublier, jusqu'à la laisser imprégner chaque recoin de notre existence, sans même en avoir conscience, car avoir conscience que nous sommes des pratiquants, c'est encore privilégier quelque chose qui serait « à part ». Le zen, c'est la vie. Tant que nous sommes dans l'intention de faire quelque chose de spécial, en pratiquant, nous favorisons le clivage qui consiste à vivre sur deux plans : celui que l'on nomme « spirituel » et celui que l'on désigne comme « existentiel ». Cette dichotomie, outre le fait qu'elle favorise un certain orgueil, entretient des pensées inutiles sur ce qui devrait être et ce qui ne devrait pas être.

Dürckheim disait ceci : « Tant que persiste une forme de tension entre ce que l'homme est et ce qu'il voudrait être, il reste éloigné de sa nature profonde ». Tant que l'homme ne se sent pas conforme à ce qu'il prétend devoir être, il ne peut faire l'expérience du vivant.

Nous avons donc besoin de prendre en considération la dureté que notre conscience nous inflige lorsqu'elle se vit séparée de son Être de nature, parce que justement celui-ci a été placé dans la case d'un « bel idéal spirituel ».

La perception que nous avons de nous-mêmes est tout à fait limitée par nos schémas de conscience, nos croyances, les attributions qui nous ont été données dans l'enfance. Il arrive ainsi que nous nous placions sous haute surveillance et passions beaucoup de temps dans l'exercice à nous reprendre, ce qui est tout à fait juste, mais la manière dont nous le faisons ne l'est pas. Le jugement, sur le mode du reproche, accentue cette limitation du personnage que nous sommes et dont nous n'arrivons pas à nous délivrer, il nous sépare de la situation. Et c'est bien cela qu'il faut prendre en compte, le jugement nous place dans la dualité.

Lorsque nous nous échappons de l'acte de marcher, de l'acte de s'asseoir, revenir, certes, mais avec bienveillance et équanimité. Juste se mettre à l'écoute, sans juger, consentir à ces atermoiements, sans aucun commentaire. Ceci ne peut avoir lieu qu'à partir de l'unité du corps perçue sensoriellement et qui peut alors tout embrasser : la grandeur de notre Être au monde et l'expérience de la plus ordinaire de notre humaine condition.

L'unité du corps perçue à travers cette forme ronde et pleine devient le giron accueillant et inconditionnel d'une fragilité devenue consciente d'elle-même mais acceptée.

Ne prétendre à rien de spécial, c'est ressentir l'unité. C'est aussi simple que cela. L'absence de jugement ne se fabrique pas mentalement, seul le corps à partir de ses capacités d'accueil, de disponibilité, d'équanimité, peut nous en laisser percevoir le goût et substituer l'acceptation au clivage.

La pratique corporelle du zazen remet en cause nos automatismes de pensée les plus ancrés, comme celui de devoir élever ou rabaisser quelque chose. Aucune justesse, aucune équanimité ne peut naître de structures figées dans des lois (cependant nécessaires) ou des dogmes, et c'est pourtant ce sur quoi nous échouons dans notre pratique, lorsque nous laissons peser sur nous un jugement. Nous nous rendons aveugles quant à notre vraie grandeur, celle qui selon Dogen exprime « que tout commence et que tout finit ici, dans l'expérience la plus triviale, la plus ordinaire de notre condition ».

« La grandeur, dit Éric Rommeluère, c'est déjà simplement commencer par mesurer que nous avons un corps, que nous sommes corps. La grandeur ne consiste pas à nous abstraire de ce monde, de ce corps que nous avons, mais à reconnaître que nous sommes, de part en part, toutes ces humeurs, ces dérèglements et ces limitations ».

Libérés de devoir faire plus, nous pouvons nous consacrer à l'expérience de la simplicité et donc d'une infinie liberté. Il n'y a rien de spécial.



Dominique Durand



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