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Photo du rédacteurDominique Durand

Lettre N°40 -Mars 2022

Oui à ce qui est


« Si l'assise méditative doit avoir un sens, ce n'est pas celui de nous faciliter la vie quotidienne. »

Nous devons revenir sur ce propos de Dürckheim, même si nous avons la certitude d'avoir compris ce qu'il entend par là. Il ne s'agit pas, grâce à la méditation, d'apprendre à reconsidérer la réalité ou de la traiter avec un tant soit peu de recul. Notre époque est celle de l'inquiétude, de l'agitation, de l'incertitude et il serait inconvenant de penser que l'activité méditative va rendre supportable la précarité de la vie.

Rester ferme comme un roc ne signifie pas que l'assise va nous consolider dans une sorte d'attitude inébranlable qui sera le facilitateur de notre quotidien. Demeurer stable en toute circonstance pourrait vite nous conduire à un contresens : une certaine manière d'échapper à la réalité du présent.

Être stable, c'est souffrir de la chaleur quand il fait chaud, la vivre à fond sans chercher à s'y soustraire. Souvenons-nous de cette histoire d'un moine demandant à son maître comment échapper au froid et à la chaleur. La réponse fut celle-ci : « Contente-toi de sentir le froid quand il fait froid et de sentir le chaud quand il fait chaud ».

L'assise en silence n'est pas un face à face avec la circonstance présente, c'est une plongée dans la circonstance. Devenir celle-ci est la seule voie possible, excluant toute pensée susceptible de s'immiscer entre « je » et l'expérience. Sans le savoir, nous résistons au présent dans lequel nous vivons, nous campant face aux choses auxquelles nous ne pouvons échapper.

La méditation ne nous rend pas plus fort, elle nous livre à la merci des événements et nous invite à un moment d'absorption de toutes les conditions présentes sans laisser la moindre pensée, le moindre concept, le moindre commentaire, s'infiltrer entre soi et le présent : la douleur qui se fait plus intense, l'inspir, l'expir, la chaleur de la pièce, le souffle d'air sur le visage, le claquement d'un volet, un cri, un chagrin insurmontable : je ne suis que cela, je ne cherche pas à être autre chose que ça. Apprendre cette absence de distance entre « je » et la circonstance présente : un profond dénuement, une vulnérabilité consentie, je suis ce qui m'arrive et rien d'autre. Je n'ai pas d'autre choix que celui-là. Cela nous extrait de cette convention selon laquelle certaines choses devraient exister et d'autres pas. Il ne s'agit pas de subir la douleur de vivre avec une sérénité stoïque, mais juste de renoncer à vouloir autre chose que ce qui est.

La méditation n'est pas ce lent processus de consolidation de soi face aux expériences, cette idée ne ferait qu'entretenir l'écart entre « je » et la réalité, elle est une désaffection du moi.

Absorber la circonstance présente et réaliser que c'est dans le présent et seulement dans ce présent que nous vivons. Bien plus qu'une adhésion qui laisse présupposer deux parties, qui, même si elles sont collées, sont toujours deux ; l'absorption, elle, laisse pénétrer. C'est une action passive qui tend vers la totalité et nous soigne de tous les troubles de la pensée. Simplement se laisser envahir par la situation présente, constater que la stabilité n'est pas là où on l'a cherchée. La stabilité se trouve dans l'abandon aux circonstances. Paradoxe qui me fait penser à cette première partit de la Divine Comédie dans laquelle Dante, accompagné de Virgile, découvre que la sortie de l'enfer se trouve en son centre même.

Lorsqu'on parle d'un approfondissement de l'expérience de l'assise en silence, on ne se situe pas sur le plan d'une compréhension plus accrue du zen, mais d'un abandon progressif des mots et de la pensée, une plongée dans un territoire inconnu que l'on ne cherche plus à faire coïncider avec une convention.

Devenir la circonstance, la respirer, l'éprouver sensoriellement, c'est donner forme à l'inconnu qui se présente dans l'instant, le laisser nous désarçonner d'une certaine continuité de soi qui nous était favorable et par conséquent rassurante, la laisser nous habiter jusqu'à nous dépouiller de nous-mêmes, du moins de l'idée que l'on s'en faisait.

Vivre le moment présent n'est plus un moyen de conjurer le sort, de défier le temps qui passe, c'est être le temps qui s'écoule sans rien avoir à retenir ou à empêcher.

La valeur de l'instant présent est trop souvent évaluée à l'aune du plaisir ou du déplaisir éprouvé. Même si la plupart des gens imaginent être déjà bien assez conscients du présent, dans leur attitude réflexive il y a toujours un retour à soi, si bien que certains jouissent de cette réappropriation, bien plus que de l'expérience elle-même.

Devenir essentiellement la circonstance présente est une façon de se fondre dans la vie en cours. Ce n'est pas une acceptation, celle-ci est encore trop volontaire, intentionnelle et conditionnée.

La pratique renouvelée chaque jour éveille notre sensibilité jusqu'à parfois nous permettre de saisir cette nuance importante entre ces moments où l'on dit oui à ce qui est, et ceux où il n'y a plus personne pour dire oui.


Dominique Durand


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