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Photo du rédacteurDominique Durand

Lettre n° 43 - Janvier 2023

La tenue juste


Le pratiquant assidu peut en venir à souffrir du mythe véhiculé autour de la méditation et de ses effets. Sans parvenir à l'équanimité, il se rend alors coupable de son propre échec ; se creuse ainsi une séparation fatale, voir un clivage, entre le temps d'assise et le quotidien.

Source de souffrance, ce clivage peut mener parfois à un abandon de la pratique.

Lorsque le moi semble prendre le dessus, l'indication du maître est celle de « se reprendre ».

Tenons-nous au plus près du sens de cette expression : se mettre de nouveau à faire quelque chose qui avait été interrompu, se ressaisir. Ce qui s'est interrompu, c'est le contact intime avec Soi. Cette cassure nous rend fragile parce qu'elle laisse une place infinie à ce moi inacceptable, impuissant à s'échapper de lui-même et de ses turbulences. Force nous est de constater que nous avons toujours des idéaux et des idées sur ce que nous devrions être. Nous voudrions que la pratique nous ouvre à une autre dimension, nous voudrions changer nous-mêmes, nos émotions et toutes nos dispositions intérieures.

C'est oublier que l'assise en silence œuvre dans le sens d'une réconciliation, d'une unification et non d'une séparation.

Comment cela se peut-il ? Il n'y a pas de précepte de dogme pour accomplir cette œuvre. Cela débute par une attitude physique dont chacun peut faire l'expérience : se tenir le dos droit. L'enseignement du dos droit est infini, aussi bien dans l'assise que dans le quotidien, il ouvre cette possibilité de laisser apparaître une qualité de soi-même qui étonne. C'est du réajustement quotidien de la tenue qui aurait tendance à s 'affaisser que naît l'étonnement. Mais il ne s'agit pas seulement d'un étirement mécanique, c'est l'apprentissage d'un certain mode de mise en relation. Ne vous contentez pas de vous tenir droit, n'oubliez pas d'accentuer une légère cambrure entre les dorsales et les lombaires qui, spontanément, enfoncera vos ischions dans le coussin, comme des épingles, légèrement en biais et avec une force incroyable. Vous sentirez alors la poitrine s'ouvrir d'elle-même, le souffle se libérer et les dernières côtes s'écarter du bassin. Le menton légèrement rentré vers la poitrine, placera votre attention à l'arrière de la nuque et l'expression de votre visage s'en trouvera changée, adoucie dans un regard flottant qui n'accapare plus rien. C'est de là que la relation au moi égaré se transforme. Personne n'exige de vous de croire que c'est possible, mais vous appartient la responsabilité d'en faire l'expérience.

Cette attitude physique, c'est notre propre manière de nous accompagner dans les turbulences et de les accepter. C'est la pratique du zen au milieu des désirs de la vie.

Se tenir le dos droit, c'est démontrer cette capacité à être intime avec ce que l'on refuse de soi-même, ce que l'on refuse de la situation. Cette grandeur assumée nous aide à découvrir une autre forme de relation avec ce qui nous dérange. Cette expérience corporelle, que l'on nomme la tenue, est le contraire d'une mise à distance, c'est cette possible cohabitation du grand et du pitoyable. Le dos droit nous plante au milieu de nous-même, de la réalité de nous-mêmes et démystifie nos idéaux. C'est une démarche audacieuse que celle de se tenir droit entre terre et ciel. Et « de faire tenir ensemble ce qui nous a toujours paru irréconciliable, notre condition d'êtres égarés et celle d'éveillés ».

Chacun a sa propre façon de se tenir droit, chacun doit apprendre à le faire, à l'éprouver, à s'en sentir éclairé, non par un discours, mais par une juste manière d'être là. C'est là que naît le Maître intérieur car elle induit un mode participatif qui annule toute forme d'obéissance adaptée à des préceptes. Karlfried Graf Dürckheim l'exprimait ainsi : « Pour lutter contre toute forme d'adaptation, nous devons laisser parler la transcendance en nous. » Permettons-nous de traduire le terme transcendance par l'expérience « je suis ».

Notre action dans le monde est ainsi régie, non par l'adaptation à des règles de comportement, mais par cette évidence dictée d'instant en instant : l'éprouvé d'un dos droit. De la justesse de cette tenue dépend la justesse de nos actes, la justesse du regard porté sur soi-même. La compassion ne naîtrait-elle pas de là ?

Le zazen n'est pas une tactique d'auto-persuasion, nous ne pouvons nous permettre d'accepter nos propres turpitudes qu'à cette seule condition : celle d'avoir expérimenté « je suis ». La pratique du dos droit est une façon de se reprendre qui ne répond pas à « il faut que », mais à un ordre intérieur spontané, naturel et totalement libre.

Dominique Durand

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