Zazen et quotidien
Le passage de la pratique méditative au quotidien peut s'avérer délicat si les indications « ne rien faire » et « pas de but » sont prises à la lettre, écartant de ce fait le principe essentiel : zazen est une action,mais une action qui consiste à ne plus faire quelque chose à partir de la volonté, d'une attitude crispée ou d'un jugement sur soi-même, donc à partir d'un centre fait de résistances et de défenses psychologiques non résolues, mais à partir d'un espace libéré de toute attente et dont l'origine est le corps.
Il est vrai, notre vie est faite de projets, d'agendas et d'obligations à tenir et la pratique méditative semble, pour certains, incompatible avec les exigences du quotidien.
L'assise en silence est un moment propice pour changer de paradigme quant à la manière d'envisager l'action et la laisser devenir son propre but, son sujet propre. Dürckheim tient un propos explicite à ce sujet : « Tant que le non-but lui-même n'est pas présent dans le but, nous ne pouvons pas aller en tenant le fil d'or qui nous relie à l'Être essentiel ». Quel est cet exercice auquel il nous engage et qui consiste à laisser « ne rien faire » résider dans le faire ?
Le désœuvrement réalisé pendant l'assise ne se suffit pas à lui-même, il doit reposer dans une absence totale d'intention, tout en conservant une énergique implication à se sentir concerné par l'abandon de tout soi-même à une force agissante. Le « ne rien faire » sans cette forme d'implication ne porte pas ses fruits.
La spécificité des exercices préconisés sur la voie tracée par Dürckheim et qui accompagne le chemin initiatique réside dans la répétition. Par leurs techniques du corps inlassablement renouvelées, les automatismes semblent relever d'une intentionnalité corporelle. Lorsque celle-ci est saisie, explorée, vécue sensoriellement, le sans effort devient une évidence, comme un jaillissement de l'être dans lequel les questions du quoi, pour qui, quand, n'ont plus leur place. La répétition devient un mode d'ouverture de tout soi-même au « ne rien faire » dans le « faire ». Se dévoile ainsi un nouvel usage du corps : nous passons du corps « moyen », « outil », au corps en tant que siège d'un événement. S'offre alors cette possibilité de se sentir totalement concerné, partie prenante, d'une activité que l'on ne fait pas, mais qui se fait.
L'action repose en elle-même dans toute sa plénitude, nous pouvons de ce fait nous reposer entièrement en elle, nous laisser porter par elle, pour enfin pratiquer sans l'intention de le faire, jusqu'à ce que zazen ne soit plus zazen.
Effectivement, le nouvel usage du corps, qui nous est proposé sur le chemin initiatique, davantage encore que le monde de la pensée, abolit celui de la représentation, ce processus par lequel l'humain, mis en face de la nature, traduit en son esprit ce qu'il perçoit ; le fait devient une idée fixée sur une image, si bien que la représentation prend le pied sur le réel. Il se pourrait bien, alors, qu'étant sans rien faire face au mur, nous ne soyons que dans l'idée de ne rien faire.
L'intentionnalité corporelle désagrège ce processus qui tend à vouloir faire coïncider le zazen avec l'idée que l'on en a.
Selon les indications de Dürckheim, nous devons nous en tenir à la répétition de gestes primordiaux afin de ne pas nous perdre dans une vacuité factice qui ressemblerait à une absence et nous engager activement dans ce qui s'organise de soi-même.
Il y a une force agissante à laquelle nous pouvons nous confier, là se trouve ce « fil d'or » dont parle Dürckheim et qui nous relie à notre vraie nature dans chaque action du quotidien (le « sans but » dans le « but »), si bien que zazen et quotidien deviennent une seule et même chose.
Il devient possible d'introduire le goût de cette force dans tout moment de notre vie, dans la gestion de nos agendas bien remplis et des nombreux mails qui déferlent sur l'écran de notre ordinateur.
Le « fil d'or » est toujours là, qui nous relie à l'essentiel.
Dominique Durand
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