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  • Photo du rédacteurDominique Durand

Lettre n° 47 décembre 2023


 Accepter qu'il ne se passe rien

 


         Aujourd'hui, paraît sur les écrans, le dernier long métrage de Wim Wenders : « Perfect Days ». En suivant Hirayama, agent d'entretien des toilettes publiques à Tokyo, le réalisateur pose cette question : comment pouvons-nous être de nouveau content ? Une question que Hirayama ne se pose même pas. Il fait et répond chaque jour aux exigences du quotidien, il se couche, se rase, va à son travail, effectue les différentes tâches du mieux qu'il peut, préserve les petites pousses d'érable qu'il rapporte chez lui pour les regarder croître.

         Aucun commentaire, nul retour sur soi, il n'y a rien à en dire, aucune leçon à tirer ; il se pourrait bien que Wenders touche là l'essence du zen : aucun bénéfice. Les actions s'enchaînent et Hirayama est devenu chacune de ces actions. De ce fait, il est content.

         Pourquoi n'y parvenons-nous pas ?

         Tout ce que nous rencontrons, nous le rencontrons sous l'injonction d'une amélioration (le fameux progrès) : toujours plus d'information, toujours plus de sécurité, toujours plus de choix dans les produits de consommation high-tech, toujours plus... de performances. Nous sommes façonnés par une société dans laquelle il y a toujours quelque chose à connaître, à atteindre, à acquérir, à dominer, à maîtriser. Il faut avoir tout vu, ne rien manquer de ce qui est « mythique », « iconique », pour employer les termes hyperboliques de notre génération.

         Pourquoi devrions-nous rencontrer le mythe à tout prix, sans se contenter de cette expérience que racontait Matheissen à son retour d'une expédition et à qui l'on demandait s'il avait vu la panthère des neiges, il répondait ceci : « Non, n'est-ce pas merveilleux ? » La panthère s'était rendue indisponible, elle n'était pas au rendez-vous et Matheissen s'en était réjoui.

         Nous sommes à l'affut de l'expérience, comme Matheissen eût pu l'être de la panthère des neiges, et nous n'acceptons pas qu'il ne se passe rien. Le très ordinaire de l'assise ne comble aucune espérance et ne nourrit aucun désir.

         Ce matin, nous allons donc nous asseoir et, au-delà de la forme rituelle du zazen, retrouver l'essence de l'humain à travers ce geste universel. Consentir avec tout le corps à cette condition et rien d'autre. Il n'est plus question d'atteindre le sommet d'une montagne, d'avancer dans notre carrière, de réussir quelque chose ; il est juste question de s'asseoir. On ne fait rien pour cela, ça se fait. Si l'on peut dire que l'on revient à l'origine, à notre nature de Bouddha, c'est que nous revenons au tout début d'une action qui n'a pas à produire quelque chose. Nous devons demeurer longuement avec ce goût : celui de participer à une action, rien que pour cette action, sans souci d'en tirer un bénéfice quelconque et enfin devenir cette action. Cela est irrecevable par l'ego, il ne peut l'envisager, il ne peut le comprendre. Cela suppose aussi de rester avec cette action, de constater que l'on n'est que cela et que tout le reste n'était que vent, imaginaire et projection.

         Aucune promesse d'extension ou d'élargissement de notre périmètre. À chaque fois le moi vient s'échouer aux pieds de cette activité singulière et c'est dans l'épuisement qu'il peut enfin lâcher son attente.

         Et si par hasard vous en venez à vous dire : « Qu'est-ce que je fous là », sachez qu'à ce moment-là vous êtes au plus près du zen. Car vous ne saurez réellement jamais pourquoi vous êtres là. Vous êtes là. C'est tout, vous êtes sans pourquoi !

         Comprenez cette exigence du zen comme étant la seule voie nous menant à la liberté.

         Oserions-nous prétendre que le zen réponde à nos aspirations ? De la même façon que nous mettons le monde à notre portée et rendons chaque chose disponible à chaque instant (à ce sujet, je fais référence au livre de Hartmund Rosa : « Rendre le monde indisponible »), nous pouvons pareillement asservir le zen en nous offrant une garantie, une prévisibilité assurée dans la durée. Je vous l'assure, c'est bien ce que nous faisons sans même nous en rendre compte. Nous évitons ainsi le saut nécessaire qui consiste à ne jamais rien trouver en terme de réassurance.

         L'assise en silence ne nous garantit nullement l'expérience, elle nous ébranle dans nos certitudes, elle ne nous laisse rien emporter avec nous que l'on pourrait thésauriser.

         Le zazen, c'est le moment où il ne se passe rien, où l'on ne recherche aucune expérience spéciale. Seul avec nous-même, nous devons nous contenter, nous contenter de quoi ? D'un vide et, si Pascal dit vrai, « nous n'éprouverons jamais d'autre plénitude que celle du vide, nous ne connaîtrons jamais d'autre perfection que celle du manque. » (11è lettre)

         Apparaît alors une autre manière de percevoir ce rien, non comme un manque affligeant, mais comme la révélation d'un mystère.

 

                                                                                         Dominique Durand

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