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Photo du rédacteurDominique Durand

Lettre N° 8–Avril 2016

Le rythme du souffle nous enseigne



« Ne respirez plus... respirez... » Chacun d'entre nous a parfois entendu cette injonction dans un cabinet de radiologie, nous laissant ainsi dans l'illusion de pouvoir maîtriser la respiration. Cependant, lorsque nous réalisons que la toute première inspiration s'est offerte à nous sans que nous la cherchions, que la dernière expiration s'éteindra d'elle-même sans que nous puissions la retenir, alors...tout change. Du moins, ce qui change, c'est notre attitude, et l'on commence à s'intéresser à cette action d'une autre manière, à s'interroger : mais qu'est-ce que c'est que cela qui nous agit, sans que nous y prêtions attention ? Qu'est-ce que cela à quoi je ne peux résister ? A quoi je ne peux m'opposer ? Se laisser toucher, se laisser émouvoir par cette simple interrogation, rien de plus : je ne puis lui résister. Ce constat fait déjà oeuvre de transformation, parce qu'immédiatement, il nous met dans une autre forme de relation avec ce que l'on appelle le souffle . Ainsi, notre attitude change et la compréhension intime de la respiration change.

Nous passons de l'habitude au mode interrogatif, donc à ce qui se rapproche de l'incertitude, de l'étonnement, du non-savoir. Lorsque dans la stricte immobilité nous revenons au souffle, ce n'est pas pour en réguler le flux selon une norme préétablie, c'est pour se mettre à l'écoute de ce va et vient auquel je ne peux résister, auquel je ne peux m'opposer.

La méditation nous permet d'exercer cette perception de la vie en cours, cet événement qu'est le devenir humain, processus non maîtrisable, universel, et tout à la fois cette perception de l'accueil singulier que nous offrons à ce processus. C'est à travers le rythme de l'inspir et de l'expir que nous avons la possibilité de vivre cette articulation inlassablement renouvelée entre l'universel et le singulier. La pleine attention au souffle (il faudrait pouvoir se passer grammaticalement parlant de cette préposition), c'est la reconnaissance indéfiniment renouvelée de notre nature commune et universelle à travers une existence singulière.

L'expérience du souffle entièrement acceptée dans le rythme qui est le sien, laisse une trace intérieure, indéfinissable, qui continue de s'enfoncer et de croître comme le pilier de notre propre essence (j'entends par essence, notre nature propre, ce qui constitue notre réalité fondamentale). Cette trace, c'est celle du méditant qui consent à « persévérer dans l'être » (selon la formule de Spinoza), sans pour autant ignorer que cette action ne peut se poursuivre sans un retour vers la profondeur de l'humain. L'expérience de la respiration, même si elle ne se réalise qu'à l'instant, n'est pas un fait ponctuel, mais la reconnaissance de ce lien profond et unifiant entre le tout et le singulier.

Apparaît alors cette évidence qu'il n'y a pas à choisir entre le ciel et l'humain, mais que notre existence embrasse deux réalités à la fois et « qu'il n'y a pas à choisir entre les deux, pas plus qu'il n'y a à choisir entre les vagues et l'océan » (Arnaud Desjardins) .

Par l'inspir, le corps donne une juste réponse à cet appel de l'Etre et par l'expir il se retrouve, tout en reconnaissant sa nature profonde. En lisant simplement ces lignes, vous pouvez sentir ce va et vient...Le seul fait de sentir permet de restituer le corps entier au rythme de l'Etre. Le rythme, c'est la forme, non dans ce qu'elle pourrait avoir d'immuable, mais la forme juste à cet instant où elle se laisse saisir par ce qui la meut. Il y a alors reconnaissance immédiate de cette intimité avec l'inappropriable. La personne se reconnaît dans l'intensité de cette relation ; il y a dans la respiration, une vérité de la vie qui accomplit le sujet lui-même.

Se donner au souffle dans l'activité méditative, c'est se permettre non pas une découverte, mais une re-connaissance : la personne se re-connaît en tant qu'unie à l'inappropriable sans pour autant s'y perdre. Ce glissement de l'inspir à l'expir nous restitue alternativement au ciel et à le terre sans nous autoriser à demeurer dans l'un ou dans l'autre.

Passant ainsi d'une activité d'acquisition et d'appropriation de quelque chose à une simple re-connaissance, l'homme peut enfin tranquillement reposer en lui-même et se libérer de l'angoisse existentielle. Pierre Hadot porte intérêt à « cette libération de l'angoisse obtenue par un exercice par lequel le moi se situe dans sa totalité et s'éprouve comme partie de la totalité ». Il ne définit pas la nature de l'exercice, mais nous pouvons du moins penser que l'exercice de la respiration correspond tout à fait à ce dont il parle. Cet exercice permet de participer à l'essence de nous-même, parce que celle-ci devient expérience au moment-même de l'exercice. La re-connaissance se réalise dans l'immédiateté de l'inspir, dans l'immédiateté de l'expir.

N'attendons pas notre dernier souffle pour en faire l'expérience.

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