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Photo du rédacteurDominique Durand

Lettre N° 9–Juillet 2016

La méditation : « une activité désintéressée »



La méditation est devenue un sujet qui occupe le devant de l'actualité, offrant à chacun la promesse d'un soulagement du mal dont il souffre, au même titre que le robot -marie pouvait prétendre soulager la ménagère des années 50.

Cela engage certains à faire usage de la méditation comme il le ferait d'un outil ou de n'importe quel moyen. Or, la méditation n'est ni un moyen ni un outil. On ne médite pas comme on prend un médicament. Nous devons aborder cette pratique selon un autre point de vue.

La méditation ne fait pas disparaître le stress, les émotions fortes, la tension artérielle, elle ne prévient les maladies graves. Elle est une autre manière de considérer le trouble et de l'expérimenter.

Lorsque nous sommes possédés par un état émotionnel envahissant, dévastateur, deux options s'offrent à nous : celle de renoncer à s'assoir (à quoi bon pratiquer dans un tel état) ou celle de s'assoir en imaginant que la méditation viendra à bout du problème. Si tel n'est pas le cas, cela donnera lieu à un ensemble de commentaires qui auront pour objet de dévaloriser soit la pratique, soit la personne elle-même.

Dans la pratique du zen, l'importance donnée à la tenue (la tenue n'étant pas assimilable à une posture, mais à une manière d'être plus en accord avec les lois de la vie, c'est-à-dire un juste rapport tension/détente), bouleverse la dichotomie habituelle qui s'installe entre cette apparente tranquillité que traduit l'immobilité et le désordre émotionnel qui peut être vécu intérieurement.

S'assoir dans une tourmente extrême (que ce soit de la colère, de la peur, de l'abattement) n'a pas pour but de voir se dissoudre le vécu émotionnel comme par miracle. Il s'agit de laisser le corps

(et quand on parle du corps, ce n'est pas le corps que l'on a, mais cette présence mystérieuse qui se révèle à travers la tenue tout à la fois souple et exigeante) s'ériger dans une sorte d'arrière-plan qui se place en témoin de ce qui se passe, non pour voir disparaître ce qui est éprouvé, mais pour le vivre autrement dans un espace plus vaste, plus détendu ; il se pourrait que cela ressemble à une forme de compassion. On ne chasse pas, on ne dénie pas, on s'associe à cette vie tumultueuse sur un autre mode. La tenue est là, elle épouse le tumulte, jusqu'à ce que ce dernier, las de lancer ses attaques, s'épuise et consente à une autre forme.

La juste tenue permet de faire alliance avec cette part agitée et de réaliser que le tumulte de l'ego ne s'oppose en rien à cet arrière-plan.

C'est peut-être ce que veut dire Dürckheim lorsqu'il tient ce propos : « Le zen n'abandonne pas la conscience mentale, mais l'entraîne dans son évolution ». L'expérience psychique se fond dans ce que lui-même nomme un « arrière-plan ».

Les soucis quotidiens et les préoccupations dérapent sur la juste tenue et à force de déraper, prennent une autre forme.

Il est regrettable que nous prenions la méditation comme un moment pour prendre le contrepied d'une humeur ou d'une situation. Il ne s'agit pas de rentrer dans l'opposition du silence au bruit, du détachement au désir, il importe d'être dans cet au-delà des contraires, et c'est la tenue qui y contribue.

La méditation ne rompt pas avec la vie, c'est un retour à la vraie vie, là où tout est présent, là où le calme et le chaos ne s'opposent pas. Ce n'est pas une fonction en vue d'un devenir, c'est une présence qui inclut tout. S'assoir chaque jour, c'est ne pas laisser l'empreinte des soucis quotidiens et des préoccupations s'installer dans la tenue. Le fait de tout simplement élargir l'espace entre le bassin et les dernières côtes, de rentrer légèrement le menton pour libérer la nuque, ouvre un espace qui immédiatement éclaire le vécu d'une autre manière. Curieusement, la tenue en vient à s'étonner d'elle-même et à se nourrir d'elle-même, si bien qu'elle finit par se réaliser naturellement sans effort.

Notre principale difficulté avec la méditation, est d'en attendre quelque chose. L'aborder ainsi, c'est la vivre alors sous le registre de la frustration et donner lieu à des appréciations egocentrées : le zen ne me convient pas...C'est trop difficile pour moi...

Il faut surtout éviter de vouloir en finir avec l'ego. C'est de la tenue que le méditant apprend la souplesse nécessaire pour accueillir le tumulte, c'est de cet « arrière-plan » que nous vient cette autre manière d'expérimenter le monde et nous-mêmes. Réaliser chaque jour que cet arrière-plan est la racine de chacune de nos actions, de chacun de nos états psychiques et qu'il n'y a pas lieu de les opposer.

C'est cela que nous apprend zazen, et cette qualité de « soin » dépasse largement tout ce qui peut être imaginé sur les qualités curatives de la méditation, puisque le zen s'intéresse à la totalité de l'être humain. Alors, optons plutôt pour une « pratique désintéressée » (formule d'Albert Low).

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